Notre objectif ? Produire de la bière plus alcoolisée que la vodka.
Notre modèle ? L’Armageddon, une bière à 65°
Nous voulons comprendre comment elle est produite !
La production de l’alcool présent dans la bière se fait par fermentation. Pour produire de l’alcool en fermentation, il faut enfermer les levures dans un milieu chargé en sucre et sans oxygène. Celles-ci, en état, de stress vont alors utiliser le sucre et libérer de l’alcool (ce qui nous intéresse) et du CO2 (d’où les bulles dans la bière).
Cependant, un problème existe, au-dessus de 16° d’alcool les levures meurent et donc notre bière ne peut pas dépasser cette teneur en alcool. C’est là que la science rentre en jeu.
Les méthodes qui vont être présentées demandent des moyens techniques conséquents. Nous avons expérimenté la fermentation dite classique (anaérobie = sans oxygène)
L’ajout de sucre dans la bière, la preuve en images :
Les méthodes pour optimiser
Plusieurs méthodes permettent d’augmenter la survie des levures et donc la teneur en alcool. Pour cela nous pouvons jouer sur plusieurs paramètres comme : les nutriments, le milieu, ou encore, sur le mode de fermentation.
Variation des nutriments : une bière dopée
La variation de nutriments est assez simple à mettre en œuvre, il suffit d’augmenter la teneur en sucre, vous pouvez donc le faire chez vous. Nous savons que les levures ne peuvent supporter plus de 16° d’alcool dans un milieu normal. Mais si nous ajoutons au début de la fermentation beaucoup de sucre et de vitamines, les levures auront de meilleures conditions de croissance. Elles vont donc se reproduire plus vite et augmenter la production d’alcool. Dans ce milieu amélioré, les levures vont survivre jusqu’à 18,6°. Mais cela reste bien loin de notre objectif des 65°.
Une autre méthode de nutrition appelé « Fed-batch » propose une approche différente. En effet, il s’agit toujours d’ajouter du sucre, mais cette fois toute l’astuce est d’apporter peu de sucre au début de la fermentation et de nourrir les levures régulièrement. En ajoutant du sucre au fur et à mesure de la fermentation par petite quantité, on réduit le stress hyper-osmotique (milieu trop chargé en sucre). Les levures ont donc une durée de vie plus longue.
Variation du milieu : une bière qui respire !
La méthode classique impose une fermentation en milieu totalement hermétique, appelée anaérobique (sans oxygène). Ici, c’est tout le contraire ! La technique consiste à ouvrir régulièrement la cuve afin de redonner de l’oxygène aux levures. Ouf, elles peuvent respirer un peu et donc baisser leur niveau de stress. Nous pouvons combiner cette astuce avec la précédente, mais cela augmente peu le taux d’alcool.
La distillation inversée : une bière givrée
La dernière méthode est la plus efficace, mais ce procédé est tenu secret par les fabricants de la fameuse bière Armageddon, la bière la plus forte du monde. En explorant leur site, nous avons compris quelques-uns de leurs secrets de fabrication, les voici en exclusivité : la technique de la distillation inversée consiste à changer le mode de séparation eau-alcool. Ici, on ne fait pas bouillir l’alcool, mais geler l’eau, vous allez comprendre :
Première étape : il faut immobiliser les levures dans un gel et faire passer le substrat (la future bière) au travers de ce gel pour déclencher la fermentation
Deuxième étape : faire chuter la température en-dessous de zéro.
L’alcool contenu dans le substrat reste liquide et comme vous le savez, l’eau à zéro degré Celsius se transforme en glace. Il suffit alors de se débarrasser de cette eau gelée pour concentrer l’alcool et donc obtenir une bière extra-forte.
Critique de l’Armageddon
Sur son site, la marque Armageddon parle de sa technique de fermentation, mais nous n’avons trouvé aucun article scientifique confirmant l’efficacité de cette « distillation inversée »… On peut donc rester sceptique.
D’autant qu’un article du blog spécialisé Beertime affirme que la bière Armageddon a une teneur en l’alcool de moins de 16° d’après de récentes mesures : « différents tests confirmaient que l’Armageddon n’atteignait qu’environ 16 °d’alcool ». Ils avancent aussi que la faible teneur en sucre dans la boisson montre que le degré d’alcool n’est pas obtenu que par cette distillation inversée, mais aussi grâce à l’ajout d’alcool pur. (cf. source 8)
Face à cette polémique, nous restons prudents sur l’existence d’une bière à 65° issue uniquement de la fermentation. L’armaggeddon n’est plus produite, elle a même changé de nom car c’est maintenant « Snake Venom » mais c’est la même chose dans le principe elle a seulement été augmentée de 2,5°d’alcool (et de 24 € bien sûr).
L’armageddon en rupture de stock
la nouvel « Snake Venom » à 67,5°
Rappelez-vous l’abus d’alcool est dangereux pour la santé (mais de la bière à 65 % c’est la classe)
Les dessins proviennent d’un draw my life disponible sur youtube.
La bière qu’on a fait nous même est encore en cours de fermentation, mais dans 3 à 4 semaines ça devrait être terminé et on vous dira si ça a marché en commentaire.
Source :
[1] F. B. Pereira, P. M. R. Guimar??es, J. A. Teixeira, and L. Domingues, “Optimization of low-cost medium for very high gravity ethanol fermentations by Saccharomyces cerevisiae using statistical experimental designs,” Bioresour. Technol., vol. 101, no. 20, pp. 7856–7863, 2010.
[2] S. SENTHESHANUGANATHAN, “The mechanism of the formation of higher alcohols from amino acids by Saccharomyces cerevisiae.,” Biochem. J., vol. 74, pp. 568–76, Mar. 1960.
[3] W. Visser, W. A. Scheffers, W. H. Batenburg-van der Vegte, and J. P. van Dijken, “Oxygen requirements of yeasts.,” Appl. Environ. Microbiol., vol. 56, no. 12, pp. 3785–92, Dec. 1990.
[4] C. Frohman, D. Widmer, and M. D. E. Orduña, “Amélioration de la performance des levures œnologiques avec la méthode fed-batch,” vol. 46, no. 3, pp. 182–186, 2014.
[5] I. Pilkington1, P.H.; Margaritis, A.; Mensour, N.A. and Russell, “Fundamentals of immobilised yeast cells for continuous beer fermentation: A review,” J. Inst. Brew., vol. 104, no. February, pp. 19–31, 1998.
[6] G. Najafpour, H. Younesi, K. Syahidah, and K. Ismail, “Ethanol fermentation in an immobilized cell reactor using Saccharomyces cerevisiae,” vol. 92, pp. 251–260, 2004.
[7] W. Visser, W. A. Scheffers, W. H. Batenburg-van der Vegte, and J. P. van Dijken, “Oxygen requirements of yeasts.,” Appl. Environ. Microbiol., vol. 56, no. 12, pp. 3785–92, Dec. 1990.
[8] http://www.happybeertime.com/blog/2014/06/02/mensonge-derriere-biere-forte-au-monde/
Un billet bien inspiré, on sent l’implication personnelle !
En revanche, il distille trop peu d’informations à mon goût : votre fermentation artisanale se passe bien ? Pourra-t-on goûter votre bière lors de l’évènement public Bio Num (le 12 mai 2016 à 14h30, amphi 4C, Halle au Farines, Campus Paris-Diderot M° Bibliothèque F. Mitterand) ?
Je ne peux rien vous promettre on en ouvrira une pour voir si les bulles ont eu le temps de se produire mais ça risque d’être un peu court.
On a pu goûter la première bouteille hier à l’occasion de L’Arche de Diderot*… Elle était délicieuse, bravo !!! Son seul défaut : avec une bouteille ça ne faisait qu’un fond de verre par volontaire. Heureusement que je m’étais porté volontaire le premier – une nouvelle preuve de ma rigueur quand il s’agit d’évaluer une expérience scientifique – du coup j’ai été le seul à en avoir presque 4 cl.
PL
* Merci à vous tous pour cet excellent après midi, c’était parfait. Le temps de monter les rush la vidéo sera postée sur le blog et/ou sur Youtube. Celles et ceux qui ont manqué ce moment mythique ne pourront pas dire plus tard, comme nous, à leurs petits-enfants émerveillés ET BIEN J’Y ETAIT !
Très bon article !
Dommage qu’on ne voit pas certaines images ! 🙁
Petites suggestions : Il faudrait faire des références aux articles cités dans le texte. Ce serait également super cool d’avoir le DOI des articles récents et un lien vers la page des différents papiers afin de pouvoir les télécharger.
Pour les images j’essaye en ce moment de réglé le problème je suis désolé.
Pour les DOI les voici dans l’ordre ou il apparaisse dans le billet,je l’esest pas tous donc je vous donne que le lien pour les télécharger
1/ 10.1016/j.biortech.2010.04.082
2/ http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1204256/
3/ http://aem.asm.org/content/56/12/3785.short
4/ http://www.changins.ch/files/changins/rd/documents/RMi_RSVAH_46(3)_182-186_2014.pdf
5/ 10.1002/j.2050-0416.1998.tb00970.x
6/ 10.1016/j.biortech.2003.09.009
7/ http://aem.asm.org/content/56/12/3785.full.pdf+html
En voilà un bel objet d’étude ! En tout cas, on sent bien la recherche derrière ce cas concret 🙂
Oui en effet ,merci pour votre commentaire
En gros une bière ne peut pas dépasser plus de 18,5 degrés ?
Cette course à la bière la plus forte du monde est purement marketing…
Quel est l’intérêt gustatif d’avoir une bière qui monte à des degrés d’alcool qui la rendent imbuvable??? C’est justement le subtil équilibre entre l’alcool et les différentes saveurs qui donne son intérêt à la bière. Titrer une bière à 67,5°, c’est flinguer le produit.
Si les histoires sur la bière vous intéressent, n’hésitez pas à lire mon article de blog et me dire ce que vous en aurez pensé: https://chopedebiere.com/blogs/blog-de-chopedebiere/10-histoires-et-anecdotes-marrantes-sur-la-biere
j’aimerais avoir la conclusion de cette fabrique